En consacrant la première de mes deux notes sur les primaires américaines au camp démocrate, j’ai pris le risque de tomber dans le travers bien français qui consiste à considérer que le vainqueur final ne peut être que le candidat démocrate. Du haut de leur arrogance paresseuse, c’est le message implicite que nous envoient les journaux à longueur de colonne. Citons par exemple un récent éditorial audio de Christophe Barbier dans lequel le directeur de la rédaction de l’Express nous entretient des « deux Amériques », celle d’Obama et celle de Clinton…
Négliger la bataille qui se déroule pour l’investiture du parti républicain est une double erreur.
Erreur d’abord car il est tout à fait possible que le prochain président des Etats-Unis soit le candidat républicain.
Certes, le bilan de Bush pèsera lourd en novembre, et on peut pronostiquer avec une relative sérénité que les démocrates conserveront, voire amplifieront, la majorité dont ils disposent au congrès depuis 2006. Mais on ne peut pas en conclure que la course à la Maison Blanche se soldera par un résultat identique. En 1996, par exemple, Bill Clinton, démocrate, fut facilement réélu alors que, dans le même temps, le parti républicain remportait une large victoire au congrès.
En réalité, la personnalisation extrême inhérente à l’élection présidentielle rend les pronostics exclusivement fondés sur l’appartenance partisane assez vains. La bataille de l’image, les tactiques de campagne élaborées par les équipe de campagne très largement autonomes des partis politiques, la capacité à lever des fonds, la folie médiatique… tous ces ingrédients font de l’élection présidentielle une compétition à nulle autre pareille. Et, à ce jeu là, les républicains ne sont pas manchots, puisqu’ils ont gagné 5 des 7 dernières élections présidentielles. Autrement dit, depuis 1980, seul Bill Clinton – réputé être le politicien le plus doué depuis Kennedy – a réussi à briser l’hégémonie républicaine sur la Maison Blanche. Et encore, il dut une bonne partie de ses deux victoires à la présence d’un candidat indépendant, le milliardaire Ross Perot, qui prit beaucoup de voix à ses adversaires républicains.
Erreur ensuite – et surtout – car c’est du coté républicain qu’il faut regarder pour observer ce qui pourrait devenir le fait politique majeur de cette élection.
Coté démocrate, Hillary Clinton et Barack Obama sont certes deux personnalités fascinantes, mais leur programmes sont d’un grand classicisme. Comme John Kerry, la version 2000 d’Al Gore ou Bill Clinton ils sont des démocrates attirés par le centre, ils font très peu bouger le centre de gravité du parti. Contrairement à ce que dit Christophe Barbier ils ne représentent pas deux Amériques, ils sont simplement deux américains avec des histoires personnelles différentes mais qui courtisent la même Amérique. Quel que soit le vainqueur il ne fait pas de doute que le parti sera uni derrière lui ou elle.
Coté républicain, au contraire, rien ne se passe comme d’habitude. Traditionnellement la primaire républicaine est très peu disputée. Après quelques escarmouches pour amuser la galerie, l’establishment du parti choisit un candidat et déverse des millions de dollars sur sa candidature pour assommer la concurrence, ce qui tue le suspense et évite le spectacle d’une longue bagarre interne pour l’investiture. Rien de cela en 2008. A moins d’un mois du super Tuesday qui verra des primaires se tenir dans 22 états, 5 candidats ont encore une chance de remporter l’investiture républicaine. Du jamais vu.
Cette situation exceptionnelle s’explique par le fait qu’aucun des candidats en lice n’est en mesure de séduire toutes les composantes de l’électorat républicain. Et cela m’amène au fait politique majeur évoqué ci-dessus.
Depuis Reagan tous les succès électoraux des républicains reposent sur la "sainte alliance" entre les milieux d'affaires (qui procurent l'argent pour mener campagne) et les fondamentalistes religieux (qui fournissent les bataillons d'électeurs disciplinés.) Or il semble que l'hypocrisie générale ne tienne plus, et que cette alliance soit en train de se fissurer. Les électeurs évangélistes en ont assez de voter pour « la défenses des valeurs familiales » et de ne recevoir en retour que des baisses d’impôts pour les super-riches.
Conséquence, aucun des candidats qui pourrait avoir les faveurs des milieux d’affaire n’est parvenu à creuser l’écart. Le businessman Matt Romney a le malheur d’être Mormon et de changer d’avis comme de chemise sur tous les sujets en fonction de son auditoire du jour, l’ancien maire de New York Rudy Giuliani rame pour faire oublier ses prises de position en faveur du mariage gay et de l’avortement, et l’acteur-sénateur Fred Thomson – que certains voyaient comme le sauveur du parti – n’est pas au niveau. Résultat, c’est l’ancien pasteur Baptiste Mike Huckabee qui a remporté la première primaire républicaine dans l’Iowa, en dépit d’une notoriété faible et de moyens financiers incomparables à ceux de ses rivaux.
Pour vous aider à mesurer dans quel désarroi cette victoire a plonger les milieux d’affaire fidèles au partis républicains, voici quelques unes des positions iconoclastes prises par Huckabee pour séduire les électeurs de l’Iowa : les baisses d’impôts pour les millionnaires votées par Bush n’ont pas fait grand chose pour les classes moyennes… Horreur, des impôts ! La vie est sacrée entre la conception et la naissance, mais aussi après la naissance et il faut aider les familles financièrement pour élever leurs enfants… Horreur, l’état providence ! La lutte contre le réchauffement climatique est un devoir pour les chrétiens… Horreur, on s’attaque à la sainte industrie du pétrole ! Etc.…
Autant dire que si l’establishment du parti avait sous la main un candidat acceptable par la droite chrétienne, Mike Huckabee aurait subit un déferlement de publicité négative sur toutes les antennes, qui l’aurait sorti de la course aussi vite qu’il y est entré. Oui, mais il n’en ont pas. Et le parti républicain se trouve donc face à une alternative impossible: faire campagne sans argent ou faire campagne sans militants.
La confusion est donc totale. Et on observe des comportements inimaginables. Ainsi, Pat Robertson, le pasteur intégriste qui avait qualifié les attentats du 11 septembre de punition divine provoquée par l’homosexualité et l’avortement, a apporté son soutien public à Rudy Giuliani… qui est favorable à l’avortement et au mariage gay.
Le comble c’est que de cette confusion pourrait émerger un candidat qui ne plait ni à la droite religieuse ni à l’establishment du parti : le sénateur de l’Arizona, John McCain. Ancien prisonnier de guerre au Vietnam, il est célèbre pour avoir été le principal opposant républicain à certaines politiques menées par Bush. Il s’est aliéné les milieux d’affaires républicains en soutenant une loi visant à réformer le mode de financement des campagnes électorales. Et il est peu apprécié par les membres de la droite chrétienne qui ne le considèrent pas comme un des leurs.
Depuis sa victoire dans le New Hampshire, McCain a le vent en poupe. Il est considéré par beaucoup comme la meilleure chance des républicains de battre le futur candidat démocrate. S’il devait remporter la primaire, ce serait un basculement politique majeur, une rupture forte dans l’histoire du parti républicain. S’il devait finalement s’incliner, la rupture serait moins importante, mais bien réelle : dans tous les cas une éventuelle majorité républicaine n’aurait pas grand chose à voir avec la coalition qui a porté George W. Bush au pouvoir.
Les questions clefs des prochains mois sont donc les suivantes : les républicains seront-ils capables de faire émerger une nouvelle coalition qui leur permettra de dominer la politique américaine comme il l’ont fait ces 30 dernières années grâce à l’alliance entre les super-riches et les super-croyants ? Et si oui, à quoi ressemblera cette coalition ? Ou bien, s’ils n’y parviennent pas, sommes nous à l’orée d’une nouvelle ère démocrate, semblable à celle inaugurée par la victoire de Roosevelt en 1932 et qui se prolongea jusqu’en 1968 ? Paradoxalement, pour savoir comment l’Amérique va changer, c’est donc bien du coté des conservateurs qu’il faut porter le regard.
Rédigé par Guillaume
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