Les enseignants sont des héros. Et pas seulement parce qu’ils affrontent au quotidien toutes les difficultés scolaires de notre pays, en particulier dans certaines banlieues. Depuis 1981 ils ont accepté de rogner progressivement sur leur pouvoir d’achat pour compenser l’indispensable augmentation des effectifs dans les classes. Leurs syndicats ont ainsi montré toute la profondeur de leur attachement au service public. Et la gauche de gouvernement, avec le tournent de la rigueur a sacrifié ses électeurs.
C’est ce que nous révèle un rapport récent de plusieurs économistes, repris par Le Monde en une de son édition de ce dimanche.
Les chiffres sont en effet brutaux : les salaires des enseignants du secondaire, après avoir augmenté régulièrement entre 1960 et 1981, ont baissé depuis au point que les titulaires ont perdu 20% de leur pouvoir d’achat.
Bien sûr, je suis sceptique !
D’abord par vertu(du moins, j’aime à le croire !) : le doute est une des bases de la réflexion scientifique.
Plus sérieusement pour d’autres raisons.
Les auteurs ont fait quelques erreurs qui sautent aux yeux d’un vieux comme moi : ils expliquent entre autres la dégradation constatée par le tournant de la rigueur, qu’ils attribuent au premier gouvernement socialiste et datent de 1982. Ceux qui l’ont vécu se souviennent que c’est l’œuvre du 3ème gouvernement Mauroy et qu’il date de 1983. C’est un détail bien sûr, mais qui jette un doute sur le sérieux de l’étude.
Un certain nombre de commentaires, par ailleurs présentés avec sérieux, pointent du doigt la rigueur, Maastricht, le franc fort, d’une manière qui montre les préférences des auteurs. Le choix de la date de 1981 pour les comparaisons est à cet égard hautement significatif. Chacun a droit à ses idées, mais mon expérience m’a montré qu’on est toujours tenté de mettre en valeur et de regarder ce qui correspond à nos convictions. Ce biais est très difficile à contrer pour le scientifique, la seule vraie méthode consistant à confronter ces réflexions à la critique.
La véritable question est chiffrée. Les auteurs nous expliquent page 6 que la masse salariale a baissé de 5% en francs (puis euros) constants, la hausse de 15% des effectifs ne compensant pas la baisse de 20% des revenus. Or une note page 4 rappelle que les coûts par élève ont augmenté dans le même temps de 65%.. Essayons d’expliquer un tel écart, plusieurs phénomènes pouvant se conjuguer :
L’effet noria : si la moyenne d’âge des enseignants est nettement supérieure en 2005 qu’en 1981, la perte de salaire peut avoir été masquée par le vieillissement et les réévaluations individuelles. C’est possible. La pyramide des âges des enseignants est un peu déformée : 30% d’entre eux ont plus de 50 ans, il y a ensuite une nette diminution, le rythme de recrutement ayant grossis depuis au moins 10 ans. Il faudrait faire le calcul, cet effet noria peut représenter environ 10% de surcoût, probablement guère plus.
La répartition des effectifs enseignants et non enseignants : la masse salariale totale pour l’Education Nationale peut avoir augmenter du fait d’une part de plus en plus grande de non enseignants (ATOS, pions, infirmières etc.). Pourtant, on lit partout le contraire !
Les autres dépenses peuvent également avoir grimpé plus vite. Il est de notoriété publique qu’un effort a été fait pour réparer les lycées ou en construire. Mais il est également dit partout que les fonctionnaires manquent de moyens pour travailler. On sait d’autre part que la part des salaires dans la dépense publique a plutôt augmenté (de quelques points) depuis 20 ans.
Dernier point : le coût des pensions. Ignorant totalement s’il est pris en compte dans le calcul du coût par élève, je me contente de le noter ici.
Dans une première version de ma note, j'avais fait l'hypothèse que les auteurs aient choisi un déflateur de prix pour calculer en francs constants différent de celui de l’INSEE. Un commentateur me fait remarquer qu'en page 28, sur la partie consacrée à l'enseignement supérieur (partie que je n'avais pas lue et qui ne faisait pas l'objet de cet article), il était clairement précisé que c'ést bien l'indice INSEE qui sert de déflateur. On ne voit pas comment cela ne pourrait bien être le cas sur les autres parties de l'étude!
Je reste donc sur ma faim: comment peut il y a avoir un tel écart entre l'évolution des salaires enseignants et l'évolution des coûts par élève?
Je serais curieux de voir une comparaison des salaires des enseignants avec la moyenne des salariés par exemple. Je n’en ai pas cherché, mais il me semble que d’autres études montraient que les salaires des fonctionnaires avaient augmenté plus vite que ceux du privé depuis 10 ans. Mais peut être suis-je moi-même victime du « biais conviction » que je citais plus haut !
Pour positiver je note que le rapport peut amener des réflexions intéressantes sur le lien entre protection sociale et rapport salaire net/salaire brut, sur la question du partage du travail ou sur l’évolution du SMIC (dans la partie de l’étude consacrée aux éboueurs) la question du ratio entre les salaires de début et de fin de carrière (voir schéma page 27). J’y reviendrais peut être.
P.S. le 21/1 à 10h Econoclaste a réagi avec beaucoup de retenue à mon article écrit très vite. Il signale un article sur le sujet chez Telos eu A ce stade, je suis en train de me dire que mon sceptiscisme n'était pas justifié, malgré l'indice chiffré troublant que j'évoque plus haut. A suivre
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