Le 10 mars 1906, 1099 mineurs périssaient dans la mine de Courrières, dans la plus grande catastrophe qui ait affecté la mine en France. J’ai travaillé beaucoup plus tard dans cette même mine et je voudrais témoigner de ce qu’était le métier de mineur, aujourd’hui disparu en France.
Quand j’ai entendu certains évoquer Zola ou Germinal parce que la durée de cotisations passait
de 37.5 à 40 ans pour la fonction publique, je me suis rendu compte à
quel point ils n’imaginent pas les conditions de travail et de vie de
l’époque, ni ce que pouvaient être les risques encourus par les
mineurs, notamment la silicose et les accidents du fond du puits que
chante Pierre Bachelet.
Le
premier risque, c’est bien sûr le grisou (1), explosif entre 6 et 30%
de teneur atmosphérique. Il suffit d’une petite flamme pour déclencher
l’explosion. Celle-ci à son tour soulève et disperse dans l’air les
poussières de charbon présentes au sol et sur les parois partout dans
la mine et les enflamme à leur tour. Le coup de grisou forcément
localisé va se transformer en coup de poussier qui se transmet de
proche en proche à très grande vitesse dans toute la mine. C’est ainsi
qu’il y eut 1099 victimes à Courrières le 10 mars 1906. Et encore 43 à
Liévin en 1974, dans la dernière grande catastrophe (2) survenue dans
le bassin du Nord Pas de Calais, 15 ans avant sa fermeture.
Le
deuxième risque, c’est la silicose. La poussière issue des terrains
abattus (poussière de charbon qui provoque la pneumoconiose mais
surtout poussières des autres couches de terrain contenant de la
silice), n’est pas bien prisée par les poumons. Ceux-ci se protègent de
ces poussières agressives en les entourant de cellules protectrices,
puis en entourant à leur tour ces cellules d’autres cellules, jusqu’à
envahir une partie des poumons. La respiration devient de plus en plus
difficile et la maladie progresse même quand la personne n’est plus
exposée aux poussières. Les grands silicosés finissent leur vie avec
des bouteilles d’oxygène pur.
La
silicose épargne certaines mines (par exemple l’ensemble du bassin de
Lorraine ou la mine de Gardanne), mais est terrible dans le Nord Pas de
Calais. La maladie existait depuis l’origine de l’exploitation mais
s’est mise à augmenter fortement avec la mécanisation, le marteau
piqueur d’abord, puis les marteaux perforateurs (3). Les
« bowetteurs », ceux qui creusent les voies horizontales (les bowettes)
donc dans la roche siliceuse, deviennent les principales victimes de la
silicose. Au début de l’après guerre, lors de la fameuse « bataille du
charbon », c’est à la trentaine que certains décèdent ! Jusqu’à ce
qu’en 1954 on passe de la foration à sec à une foration avec jet d’eau
incorporé, l’eau absorbant les poussières. La méthode est ensuite
élargie à toutes les techniques d’abattage. A la fin de l’exploitation
minière, les sujets atteints de pneumoconiose, s’ils ont une gêne
respiratoire qui diminue fortement leur capacité à faire des efforts,
n’en meurent plus…
Au-delà
de ces deux risques principaux, d’autres dangers menacent les mineurs.
Dans un environnement instable, très confiné, avec des machines en
mouvement, une visibilité limité à l’éclairage au chapeau, le risque
d’accident est évidemment permanent. Dans les années 70/80, malgré des
efforts importants, un mineur avait en moyenne un accident avec arrêt
tous les 3 ans, un accident grave (plus de 56 jours d’arrêt) tous les
10 ans. Un dicton des années 50 disait qu’un vrai mineur devait « voir
son sang » 7 fois par jour.
Au-delà
des accidents, qui se traduisent encore trop souvent par des handicaps
(les mineurs à qui il manque un doigt ne sont pas rares). Avec
l’approfondissement progressif de la mine il faut renforcer de plus en
plus le soutènement et il faut des voies plus hautes pour passer du
matériel plus gros. Résultat, on passe de pièces de soutènement de 40
kg environ à des pièces de 60/70 kg puis de 90/100 kg. Or il faut aux
mineurs en porter une ou deux à chaque poste, sur plusieurs dizaines de
mètres. Ils sont censés porter les plus lourdes à 2 mais certains les
portent seuls. Évidemment les reins et la colonne vertébrale en
prennent un coup.
A
la fin des années 70, une étude sur le profil des mineurs creuseurs de
galerie dont j’ai la responsabilité, montre qu’en 3 ans, une très
grande partie deviennent inapte à leur métier, à cause de la silicose
(à cette époque on se met à sortir du fond les mineurs dès qu’apparaît
la maladie quand on attendait qu’ils aient un taux d’invalidité de 25%
auparavant), de la surdité ou de l’incapacité à porter du matériel
lourd.
En
production, les mineurs sont payés à la tâche, ce qui ne les incite pas
à se ménager : évidemment, la paye est l’un des attraits du métier.
Certains
travaux sont moins durs. On verra ainsi des électromécaniciens
retraités à 50 ans et en pleine santé. Leur travail aura cependant été
plus dur que celui de leur collègue dans les usines « au jour ». Et de
nombreux pré retraités partis à 44 ans dans les années 80 au bout de 30
ans de travail au fond sont déjà bien usés.
Pourquoi, avec un tel métier les mineurs se sont ils battus pour empêcher la fermeture ? Bien sûr les mineurs étaient fiers de leur travail, il disposaient d’une autonomie non négligeable , leur salaire était assez enviable, au moins jusque dans les années 60. Et certains autres métiers étaient également très durs.
On y reviendra.
1 :En réalité, le grisou est du simple méthane (CH4)). Le charbon peut en contenir d’autant plus que la pression (liée aux couches de terrain situées au dessus) est forte. Quand cette pression diminue du fait de l’exploitation minière, le grisou sort littéralement du charbon et migre vers les galeries
2 : Une fois de plus, les mesures destinées à empêcher l’accumulation de grisou (ventilation essentiellement, à prévenir toute occasion d’étincelle (on découvrira 4 ans plus tard, à l’occasion d’un accident qui ne fit heureusement que 2 blessés, à Courrières une fois de plus, qu’il s’agissait probablement de courants vagabonds liés au départ des trolleys à 2 kms de là, ce que personne n’avait imaginé auparavant), à mélanger de la craie avec la poussière de charbon pour stopper le coup de poussier, n’avaient réussi qu’à empêcher le passage du coup de poussier d’un quartier d’exploitation à l’ensemble de la mine.
3)
Les marteaux perforateurs sont utilisés pour creuser des trous de
quelques centimètres de diamètre, trous destinés à l’explosif qui va
permettre le creusement des galeries
Publié le 11 mars 2006 sur mon ancien blog.
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